BSA et Dick Mann gagnent à Daytona – partie 1

Ce type a vraiment de la chance. Juste au moment où vous pensez que quelqu'un va gagner la course, il revient de nulle part et finit par l'emporter.

à propos de Dick Mann

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C'est souvent ce que les gens disaient au sujet de Dick "Bugsy" Mann.

La vérité était plus nuancée.

Dick Mann savait exactement quoi faire avec une moto de course.

Et tout autant, quoi ne pas faire ...

Il n'était pas le pilote le plus rapide mais savait gérer ses courses avec sagesse, en ménageant sa mécanique, ses pneumatiques et son physique.

Au cours de ses 20 années de carrière, de 1955 à 1974, il a souvent endossé le costume de l'outsider, élégant et ingénieux, qui finit par remporter la victoire.

 

C'est le cas en 1970, à Daytona, où Dick Mann s'impose pour la première fois, au guidon d'une Honda officielle.

Ses principaux concurrents abandonnent.

Mike Hailwood, casse le moteur de sa BSA dès le 8e tour.

La Harley-Davidson de Cal Rayborn explose une soupape.

Ron Grant sur Suzuki et Gary Nixon sur Triumph cassent leur moteur.

 

Et à la fin, c'est Dick Mann qui l'emporte.

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Durant les années 60, les courses A.M.A., réservées aux motos dérivées de la série, sont dominées par le constructeur américain Harley-Davidson.

La "Motor Company" bénéficie d'un règlement sur mesure (Classe C) qui donne un avantage substantiel aux V-Twin U.S. à soupapes latérales, au détriment des constructeurs britanniques, et leurs moteurs de conception plus moderne :

- les machines de Milwaukee peuvent cuber jusqu'à 750 cc

- les twins anglais (4 temps à arbre à cames en tête) sont limités à 500 cc

A la fin des années 60, les marques britanniques dépensent beaucoup d'argent pour augmenter leurs ventes aux États-Unis.

Leur stratégie marketing passe par des succès en compétition.

Triumph est le premier à frapper, en se lançant à l'assaut des 200 Miles de Daytona, en 1966.

Le constructeur de Meriden développe une T100R 500cc de course, aussi puissante que la Harley KR750, mais plus légère et donc plus véloce.

Triumph l'emporte en 1966 avec Buddy Elmore.

La marque anglaise récidive en 1967 avec Gary Nixon.

1968 : Harley l'emporte à Daytona

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En 1968, Harley-Davidson riposte avec des KRTT survitaminées et une équipe de choc (''Wrecking Crew") de 8 pilotes, emmenée par Cal Rayborn.

En course, Rayborn s'impose devant deux bicylindres Yamaha 350 cc 2 temps refroidis par air.

Echec consommé pour Triumph, dont la meilleure moto est reléguée au sixième rang.

 

En décembre 1968, lors de la réunion du comité de la concurrence de l'A.M.A., Triumph monte au créneau et demande une refonte du règlement.

Le comité, jusque-là hyper-conservateur, ne peut ignorer plus longtemps les avancées technologiques.

La plupart des constructeurs prépare de nouveaux modèles, équipés de moteurs 4 temps multicylindres, qui vont bientôt inonder le marché U.S.

L’A.M.A. n’a d’autre choix que de s’adapter à son temps.

A partir de 1970, le règlement autorise une cylindrée de 750cc, pour les 4 temps, quel que soit l'emplacement des soupapes et le nombre de cylindres.

Pas de changement en ce qui concerne les 2 temps, la cylindrée maxi reste établie à 500cc.

 

Ce nouveau règlement change complètement la donne.

Il permet à Honda d'engager des machines de course dérivées de la CB 750.

Et au groupe Triumph/BSA de courir avec sa toute nouvelle 3 cylindres.

Il faut toutefois du temps, pour ces constructeurs, pour préparer de nouvelles motos de course performantes.

Et fiables .

1969 : Harley récidive

En 1969, c'est encore Harley-Davidson qui remporte une nouvelle victoire avec Cal Rayborn.

Celui-ci devance Ron Grant, sur Suzuki, de plus d'un tour.

Le canadien Mike Duff termine troisième, sur Yamaha.

Mert Lawwill quatrième.

Le Britannique Rodney Gould cinquième, sur Yamaha.

La victoire de Harley est cependant loin d'être facile, notamment du fait du nouveau règlement A.M.A. qui autorise également les boîtes à cinq vitesses.

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Cela permet impacte surtout les performances des 2 temps, Yamaha, Kawasaki et Suzuki, le rapport supplémentaire offrant des régimes maxi plus élevés pour une plage d'utilisation plus étroite.

Sur la piste, c'est Yvon DuHamel, au guidon d'une 350 Yamaha bicylindre 2 temps, qui obtient la meilleure vitesse maxi, avec plus de 241 km/h.

En course, DuHamel abandonne au 20e tour, sur panne d'allumage, alors qu'il occupe est largement en tête.

Hiver 69/70 : BSA-Triumph fourbit ses armes

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Nous devons dominer toutes les épreuves du championnat AMA Grand National

Peter Thorton, président de Triumph U.S.A.

Compte tenu du règlement A.M.A. qui évolue à chaque fin d'année, les usines n'ont que peu de temps pour adapter leurs machines pour les 200 miles qui se déroulent en mars, en ouverture de saison.

Le nouveau président de la branche USA, Peter Thorton, souhaite des victoires sensationnelles.

Pour ce faire, il débloque un budget astronomique de 440 000 dollars.

Il charge le chef du nouveau département course américain, Peter Colman, de recruter les meilleurs pilotes.

En novembre 1969, un département de course unifié BSA-Triumph est créé à Meriden.

A sa tête, Doug Hele a pour mission de préparer les motos pour les 200 miles de  Daytona qui se courent ... dans 3 mois !

La préparation des moteurs Trident s'effectue sous la supervision de Hele lui-même.

Celle des trois cylindres Rocket 3 est confiée à Jack Shemans, son homme de confiance et ingénieur moteur expert à Meriden depuis le début des années 1960.

Compte tenu de la similitude des moteurs, la méthode de développement est identique pour les futures Triumph de course et les futures BSA :

- nouveau vilebrequin

- nouveaux pistons

- nouveaux carburateurs

Le moteur 3 cylindres de 741 cc (67 x 70 mm) est en fait un bicylindre additionné d'un cylindre supplémentaire, du côté droit.

Le carter de distribution est réduit pour augmenter l'inclinaison du moteur dans le cadre.

Pour la course, le cylindrée est portée à 765 cc, comme le permet la nouvelle réglementation A.M.A. (saison 1970).

Chemises en acier, alésées à 68 mm.

Pistons moulés à haute compression.

Bielles en aluminium avec tête en acier.

Vilebrequin à 120°, méticuleusement allégé.

Entraînement primaire par chaîne d'origine.

Boîte de vitesses Quaife à 5 vitesses, à rapports rapprochés (boîte 4 vitesses à l'origine).

Cames TH6 (développées pour le twin 500 en 1968) avec culbuteurs redimensionnés.

Culasse de série équipée de sièges plus solides.

Chambres de combustion retravaillées.

Trois carburateurs Amal GP de 30 mm.

Allumage Lucas spécial sans batterie.

Echappement 3 en 1 se terminant par un long mégaphone de 100 mm de diamètre.

Cet échappement, conçu par Hele lui-même, permet un gain de 4 à 5 CH.

Puissance maxi : 81 CH à 8 200 tr/min.

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Le nouveau règlement A.M.A. autorise dorénavant le changement du cadre, des suspensions et des freins.

Un cadre double berceau en tubes Reynolds 531 au chrome-molybdène, brasés au bronze, est fabriqué par Rob North, dans son atelier de Bedworth, à 16 km de l'usine Triumph.

Le cadre est élaboré en collaboration étroite avec le pilote d'essai Triumph, Percy Tait.

Rob North utilise une fourche modifiée Triumph de 33,3 mm.

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La première série de cadres fabriqués par Rob North dispose d'un angle de colonne de direction de 26 ° (par la suite, les cadres Rob North auront un angle de 28° et une traînée de 121 mm).

Au total, 6 motos doivent être engagées par l'usine à Daytona (4 Triumph Trident et 2 BSA Rocket 3).

Rob North réalise au total 16 cadres, différents les uns des autres, par leur taille et leur géométrie, afin de satisfaire les besoins des différents pilotes.

Seuls les supports moteur permettent de différencier les cadres des Trident de ceux des BSA.

Cette première série de parties-cycles est connue sous le nom de "highboy".

La série suivante prendra l'appellation "lowboy" (1971).

Grâce au châssis "highboy" de Rob North, le moteur est positionné 6 cm plus haut que sur la version standard.

Le cadre North offre également un plus grand espace pour le réservoir.

Il s'avère plus rigide que le cadre d'origine.

Son principe est simple : les tubes supérieurs relient directement la colonne de direction à l'axe de bras oscillant, tandis que deux autres tubes constituent le berceau inférieur.

La partie arrière, en tubes de plus petit diamètre, supporte la selle et reçoit la fixation supérieure des amortisseurs.

Simple aujourd'hui.

Génial il y a 55 ans !

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Bras oscillant en tube d'acier.

Amortisseurs Girling.

Empattement : 1 450 mm.

Réservoir en fibre de verre, d'une capacité de 19 litres.

Poids à sec : 180 kg (répartition AV/AR 50/50)

Frein AV à tambour en magnésium, diamètre 250 mm, commandé par 4 cames.

Frein AR à disque de 254 mm, issu de l'automobile (Triumph Herald).

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Les essais sont menés par Percy Tait, pilote d'essai Triumph.

Celui-ci roule en Angleterre, durant les mois les plus froids de l'année.

Dans ces conditions, les moteurs ne rencontrent aucun problème de refroidissement.

Ce sera bien différent à Daytona, en mars, où la température est nettement plus élevée.

Le carénage et le dosseret de selle sont fabriqués par le département Recherche et Développement d'Umberslade Hall.

Ils sont testés dans une soufflerie de la Royal Air Force.

Développées en quelques semaines, les motos destinées à courir à Daytona ne sont pas prêtes à la date d'expédition prévue pour les États-Unis.

Il est donc nécessaire d'envoyer un conteneur supplémentaire, avec tout le matériel pour terminer l'assemblage des motos sur place, en Floride.

Daniele Fontana, qui fournit les freins AV, est aussi en retard.

Il apporte lui-même les pièces à Daytona : les gros tambours de 250 mm voyagent comme bagage à main dans l'avion !

Seule la moto d'essai de Percy Tait est expédiée complète dans le conteneur.

Tait la pilotera également en course.

A la veille des essais, alors que le matériel est en cours de déballage, un commissaire pointilleux de l'A.M.A. rappelle à Doug Hele que le règlement n'autorise l'utilisation de pièces spéciales qu'à condition que celles-ci soient également en vente chez les concessionnaires de la marque.

Ce qui n’est pas le cas des boîtes de vitesses Quaife.

En urgence, Doug Hele demande à l'usine de réimprimer le catalogue d'accessoires et de pièces détachées pour le marché U.S. , en y rajoutant les boîtes de vitesses Quaife.

Il fait également expédier d'Angleterre 50 boîtes Quaife destinées aux concessionnaires U.S.

1970 : l'armada Triumph/BSA

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1971 BSA factory team- Jim Rice #2 David Aldana #3 Dick Mann #4 Mike Hailwood #20 Don Emde #25 Harley team behind0000

L'usine britannique débarque en force à Daytona avec six motos.

Les pilotes, américains et européens, ont été recrutés sans ménager aucune dépense.

Quatre machines sous la marque Triumph (Trident) :

- Gene Romero n° 3

- Don Castro n° 81

- Gary Nixon n° 9

- Percy Tait n° 56

Deux BSA (Rocket) :

- Jim Rice n° 24

- Mike Hailwood n° 50

Mike Hailwood se consacre désormais à sa carrière automobile, mais il revient ponctuellement courir sur deux roues, pour des cachets conséquents.

Dick Mann, qui roulait habituellement sur BSA, est un pilote polyvalent, performant dans toutes les spécialités : Cross, Vitesse, Flat-track et même Endurance.

Fin 1969, Peter Thornton (le patron de la branche américaine Triumph/BSA) juge Mann trop vieux pour une course aussi difficile que Daytona.

Il décide de le remplacer par le jeune Jim Rice.

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L'usine Honda est également présente avec quatre CR750 dérivées de la CB 750 de série.

Pourtant, la haute direction de Honda a montré beaucoup de réticence à s'engager en compétition.

C'est grâce à la force de conviction de Bob Hansen, directeur national du service après-vente d'American Honda, que l'usine est venue à Daytona.

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Les Honda CR750 sont confiées à trois pilotes internationaux de renom :

- Ralph Bryans, champion du monde 125cc

- Tommy Robb

- Bill Smith, expert du TT de l'île de Man

Opportuniste, Bob Hansen complète sa "dream team" en recrutant Dick "Bugsy" Mann, ex-BSA, laissé libre par l'usine britannique.

Les essais débutent dans la controverse.

Les Triumph et les BSA d'usine utilisent les fameuses boîtes Quaife à cinq vitesses.

Les autres équipes font valoir auprès des commissaires que ces boîtes ne sont pas homologuées.

La Honda CR750 de Bryans sort dans la ligne droite et s'enflamme. Tout le monde constate que le carter moteur s'embrase, autrement dit, qu'il est en magnésium.

Matériau non autorisé.

Gary Nixon

Pour décrocher la pole position - et le prix de 1 000 $ qui l'accompagne - Romero et son mécanicien, Pat Owens, décident d'utiliser des pneus de route, plus étroits, et de les gonfler à très haute pression.

Pari réussi : Romero réalise le meilleur chrono à plus de 253 km/h de moyenne.

Vitesse maxi : plus de 265 km/h dans la ligne droite suivant le banking.

A la fin de son tour de qualif, son pneu AR est complètement détruit.

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Gene Romero et Doug Hele

La BSA de Hailwood se hisse à la deuxième position (246 km/h).

Nixon est troisième avec 245 km/h.

La première Honda est celle de Mann, quatrième sur la grille, avec une vitesse moyenne de 244 km/h.

Suivent les trois autres CR750.

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Gene Romero         BSA n° 3

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Au terme des essais, les équipes sont surtout confrontées à des problèmes de fiabilité :

-  Bob Jameson, le chef-mécanicien affecté à la moto de Dick Mann, constate que le tendeur de la chaîne de distribution de la Honda n° 2 s'est désintégré.

Pour la course, il décide de sortir le moteur pour remplacer le tendeur.

Jameson alerte les autres chefs-mécaniciens de l'équipe Honda.

Ceux-ci ne tiennent pas compte de son conseil.

- les mécaniciens de BSA/Triumph sont confrontés à des problèmes de surchauffe : le nouveau carénage empêche l'entrée d'air frais au niveau de la culasse dont la température s'élève dangereusement, notamment durant la partie routière du circuit.

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Au départ de la course, Dick Mann s'élance en tête.

Suivi de l'armada Triumph/BSA : Hailwood, Nixon, Romero.

Lors d'un contact, Romero se fait sortir par un autre pilote, ce qui lui coûte une quinzaine de secondes.

Dès le deuxième tour, Hailwood et Nixon dépassent Mann.

La moto de Hailwood commence à avoir des problèmes de surchauffe.

A bandon au sixième tour.

Nixon occupe la tête à la mi-course.

Il doit à son tour se retirer, piston central détruit.

Les Honda d'usine de Bryans, Robb et Smith s'arrêtent les unes après les autres, souffrant toutes du même problème : tendeur de chaîne de distribution détruit.

Dick Mann, seul rescapé de l'équipe Honda, occupe la têt avec une énorme avance sur ses poursuivants.

Rayborn et le reste de l'équipe Harley ne verront jamais l'arrivée : moteurs cassés.

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Mais avec un tendeur neuf installé avant la course, la moto de Mann commence à perdre de la puissance.

À 10 tours de la fin, l'avance de Mann sur Romero tombe à 12 secondes.

Dans les stands, Hansen fait un calcul rapide : son pilote peut perdre jusqu'à une seconde au tour sur son poursuivant, et franchir la ligne en vainqueur.

La machine de Dick fumait, j'avais des doutes qu'elle atteigne l'arrivée. Je tenais Mann informé des progrès de Romero tour par tour.

Bob Hansen, Team manager Honda

A l'arrivée, Mann s'impose avec deux secondes d'avance sur Romero.

La stratégie de Hansen a fonctionné - malgré les pressions des responsables japonais.

Victoire Honda.

De justesse.

Dans les derniers tours, la CR750 de Mann ne fonctionnait plus que sur trois cylindres.

Après la course, Jameson s'apercevra qu'il ne restait plus qu'une tasse à café d'huile moteur ...

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1970 : Triumph remporte le championnat A.M.A.

Après la course d'ouverture de Daytona, le championnat A.M.A. se poursuit avec la deuxième course sur le circuit de Talladega.

Dave Aldana s'impose sur la BSA Rocket 3 utilisée par Hailwood à Daytona.

Le difficile circuit de Loudon, New Hampshire, accueille la troisième course de la saison.

Nixon, qui avait abandonné sur chute à Talladega, offre enfin la victoire à Triumph.

La suite se transforme rapidement en triomphe pour le constructeur britannique.

Sur le petit ovale de Sacramento, Jim Rice utilise une Rocket 3 de Dirt-track, rapide mais incontrôlable.

Résultat : grosse chute pour Rice lors des qualifications.

Gene Romero remporte les courses à Ascot et Oklahoma City.

Il s'impose au championnat et rapporte le titre à Triumph.

Les motos anglaises occupent les cinq premières places au classement final du championnat.

 

BSA et Dick Mann gagnent à Daytona

Découvrez tout le récit en 3 parties :

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BSA et Dick Mann gagnent à Daytona – partie 2

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BSA et Dick Mann gagnent à Daytona – partie 3

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